Chapitre 1
Une alarme sourde retentit alors dans toute l’institution. La panique générale s’empara des médecins et des chercheurs, qui commencèrent alors à courir dans leurs laboratoires, les bras chargés de documents, pour se dépêcher à sortir des bâtiments. Certains trébuchaient, d’autres s’arrêtaient pour faire demi-tour, et ramasser des affaires qu’ils avaient eu le malheur de faire tomber. Certains criaient de peur, pendant qu’une voix à la sonorité métallique s’élevait dans les airs.

– C’est une urgence !!! Le sujet A – 394 s’est échappé ! Il est devenu incontrôlable ! Sauvez tout ce que vous pouvez sur le projet Alcaeus ! Il ne faut pas que le sujet sorte d’ici ! Ou nous sommes perdus !

Les humains continuaient de courir, comme des insectes qu’on avait dérangés en frappant dans leur nid. Et moi, je les regardais au loin, considérant le chaos dans lequel ils étaient en train de plonger.

– Ça commence ..., laissai-je échapper de ma bouche. Mon acolyte ne mit pas longtemps à me répondre. Il regarda une nouvelle fois le dossier qu’il avait gardé dans les mains, détournant son regard de la vue qu’on avait du toit sur lequel on s’était posé.
– Il semblerait, en effet ... que fait-on ?, me demanda-t-il en ne lâchant plus des yeux les papiers devant lui.

À cet instant, je pensais être préparé. Oui, je le croyais vraiment ... Nous étions en train de passer nos examens, mais nous étions loin d’imaginer ce qu’il allait se passer ... surtout moi.

– On fauche ... ces gens étaient de la médecine, mais ils ne l’ont pas fait pour de bonnes intentions ...

Un gamin venait de sortir d’un bâtiment pour rejoindre la cour centrale. Il laissait une traînée de sang derrière lui. Il en était rempli. Je le fixais malgré moi. Je n'en avais jamais vu autant ...

– Oui, mais leur avancée dans ce domaine sont quand même très important Todd, et ça n’est pas négligeable ..., répliqua mon camarade pendant que je ne pouvais m’empêcher de regarder le massacre qui se déroulait devant mes yeux. Le garçon était tombé sur un autre sujet ... une petite fille ... il lui avait arraché les tripes en une fraction de seconde. Je retenais ma salive. Une goutte perla sur mon front.

– On aurait dû prévenir nos supérieurs, examens ou pas ... ces médecins remplissent les critères de sélection. Ils ne méritent pas d’être fauchés.

Weinmach était une meilleure recrue que moi. Il avait eu de meilleurs résultats ... l’espace d’un instant, il aurait pu me convaincre. Mais le garçon que je regardais plus loin, l’horrible scène dont je venais d’être témoin, réveilla en moi une espèce de révolte. Je ne pouvais consentir à laisser vivre les hommes qui avaient fait souffrir tous ces enfants orphelins. Y compris celui qu’il avait changé en arme ... j’avais de la pitié pour lui. Je n’avais qu’une seule envie : de tuer tout le monde et d’aider les enfants restants. Mais ce n’était pas mon rôle. Je n’étais qu’un spectateur, dont il lui était impossible de rentrer en scène. Un dieu de la mort restait toujours à sa juste place.

– Cet examen touche à son terme de toute manière ... laissons ça comme ça et signalons le fait qu’ils ne sont pas aptes à mourir maintenant. Leur progrès peut encore les mener loin ...

– Tu te trompes.

Je serrais les poings. Weinmach ne bougeait pas, mais me fixait. Je n’y arrivais pas. Je ne pouvais pas rester à ma place. Je me tournais alors vers lui, me pinçant les lèvres.

– Tu oublies une des règles, répliqua-t-il enfin, pendant qu’il me regardait avec des yeux ronds.

Nos quatre yeux d’un vert jaune étincelant se fixait dans un nouveau silence pesant. Dans ceux de Weinmach, j’y lisais l’incompréhension de mon comportement. Dans le mien, il devait y lire la détermination. Il baissa les yeux sur les dossiers qu’il avait en main.

Au loin, un nouveau cri me déchira à nouveau le cœur. Je commençai à prendre mon élan quand une main se posa sur mon épaule. Je voulais agir, mais on m'en avait empêché.

– Ne fais pas ça Todd, essaya-t-il de me raisonner.

Je regardais dans la cour la mare de sang qui s’échappait petit à petit d’un homme portant la blouse blanche. Et je ne mis pas longtemps à faire éclater ma rage. Je voulais le tuer. Je voulais le punir pour les conséquences de ses actes... et d’un autre côté ... lui donner le repos éternel qu’il méritait plutôt que de le laisser souffrir.

– Comment tu peux être insensible... à tout ce que tu vois et entends ! Comment ... on peut oser leur faire ça ?!, essayai-je de clamer en essayant de me dégager, d’un coup de faux en arrière, qu’il esquiva ma foi plutôt bien.

A chaque fois que j'essayais de descendre du toit où l'on s'était perché, Weinmach essayait de me retenir et je contre-attaquais alors. Devant mon incapacité à faire quelque chose, je craquais.

– On a le pouvoir de tout arranger, alors pourquoi on ne le fait pas ?!

– Parce que c’est notre rôle de les regarder s’entre-tuer et mourir.

Une nouvelle personne avait fait son apparition. Ni Weinmach ni moi n’avons fait attention. William T. Spears nous avait rejoints. Cette année, il était l’un des juristes pour l’examen final sur le terrain. Il avait une grande expérience et il était surtout notre supérieur. Mon partenaire me lâcha rapidement avant de faire une courbette. Je l’imitais, même la rancœur n’avait pas encore quitté mon esprit.

– Senpai, murmurait-on tous les deux en guise de salut.

– Votre camarade a raison, déclara-t-il platement en me regardant d’un air détaché. Froid. Sinistre. Nous avons pour interdiction d’interférer à la vie et à la mort des humains. C’est pourtant l’une des premières règles que l’on vous apprends à votre arrivée, non ?

Son regard perçant n’arrêtait de me fixer avec insistance. Je baissais la tête.

–Mais je—

– Inutile Todd, il n’y a jamais d’exception à cette règle. En tant que bon agent de terrain, vous auriez dû prévenir vos supérieurs pour vos trouvailles concernant ces médecins. Weinmach, vous alliez le faire n’est-ce pas ?

– Oui, Monsieur. Mais Todd a refusé de m’écouter.

Je lançais presque un regard assassin à mon partenaire, du coin de l’œil.

– Vous comprenez votre erreur, Todd ?

– Non, niai-je impunément, c’est vous qui êtes dans l’erreur, Monsieur.
Je redressai la tête, et le regardai dans un air de défi. À voir la réaction de Weinmach, j’avais fait la plus grosse erreur de ma vie. Et il n’avait pas tort.

La lueur qui apparut alors dans le regard de Mr Spears ne me glaça pas le moins du monde le sang, qui bouillant encore en moi. Et pourtant, peut-être qu’il aurait dû.

– Pour manquement à l’une de nos règles les plus importantes, en votre renoncement à respecter cette règle ouvertement, et votre absence de respect pour l’un de vos supérieurs, Mr Todd, vous êtes recalé à cet examen.

En même temps qu'il me déclarait cela, il écrivit ses remarques sur un gros dossier, apparemment le mien.

Un râle froid, dur, agonisant s’échappa à nouveau de la cour, pendant que je regardais toujours mon supérieur. J’avais échoué. J’avais totalement échoué sur toute la ligne. Weinmach, aussi peu sensible qu’il n’y paraissait, était dans le vrai.

Alors c’était tout ? Ces hommes vivront encore pour longtemps, continuerons à plonger ce monde dans les ténèbres ? Et nous nous pensions supérieurs aux démons en faisant cela ? Des tonnes de questions venaient se mêler dans ma tête, pendant que je serrais les poings. Nous n’avons pas le droit d’intervenir. Nous n’avons pas le droit d’agir. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de regarder. Regarder la misère de ce monde, jour après jour. Rester insensible ...

– Mr Weinmach, vous êtes exceptionnellement accepté, pour avoir malgré les remarques de votre camarade, continué à lui tenir tête. J’imagine que vous voudriez demander dès à présent votre mutation à la Dispatch de ce pays ?

– Oui, c’est mon pays d’origine. Merci monsieur.

– Bien je m’occuperais de cela pour vous. Todd ?

Je continuais à regarder devant moi, le regard vide. Je n’entendais presque plus ses paroles. Je ne comprenais plus l’attitude, les pensées, que je devais adopter.

– Mr Todd.
– Oui ?
– Vous pouvez passer un autre examen, celui de l’administration des dossiers est pour la semaine prochaine, je pense qu’il sera mieux adapté à votre cas. Après tout, vos notes en terrain n’étaient pas si bonnes. Je vous y inscris donc.

Je restais silencieux. Encore une fois, je ne me sentais plus à ma place. J’esquissais un hochement de tête pour le remercier. Même si je n’avais plus envie de faire quoi que ce soit.

– Bien cet examen prends fin dès à présent, nos équipes s’occuperont du terrain. Oh et j’allais oublier. Mr Todd, votre sœur est à l’infirmerie.

A l’entente de cette phrase, je redressais la tête, le cœur battant. Ma sœur avait, elle aussi, passé l’examen.

– Il semblerait qu’un démon ne soit intervenu au dernier moment pour voler des âmes. Ne vous en faites pas, elle s’est bien battue. Ce n’est l’histoire que de vérification. Elle a réussi son examen. Vous pouvez disposer, tous les deux.

Malgré moi, je souris. Ma sœur avait toujours eu le chic pour se retrouver dans des situations dangereuses, mais elle au moins, elle s’en sortait toujours. Elle était forte. Je l’admirais. Et quelque part, je m’en voulais d’être encore humain, au fond de moi. Plus loin, vers la sortie de l'institut, je voyais le garçon meurtrier et drogué, l'expérience A-394, s'enfuir à toutes jambes. Peut-être que ce monstre fera d'autres victimes. Peut-être qu'il mourra des conséquences des expériences faites sur lui. Qu'importe. Je ne devais plus m'en préoccuper. Je devais oublier qui j'étais. Ce que j'avais fait. Ma première erreur dans ce monde, c'est d'avoir pensé que je pouvais échapper à cette douleur qui me tenaillais. Ma première erreur, c'est d'avoir cru que me suicider aurait mis un terme à ma souffrance.

La vie est-elle injuste avec nous ? Ou ... est-ce la mort qui l'est ?
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